ROMAN : Profession du père

Auteur : Chalandon
Editeur : Grasset




On sait les livres de Sorj Chalandon empreints de son expérience personnelle, de son regard d'homme, de journaliste, d'attentif des vies et des morts qui ont jalonné son parcours. Avec Profession du père, l'auteur entre officiellement dans l'autobiographie et, pourtant, il le dit, ceci est un roman. Inutile de chercher le vrai du fictif, car au fond, seule l'émotion compte. Cette émotion brassée par les thèmes de la folie, de l'enfermement familial, de la violence, de la naïveté admirative d'un enfant pour son père.
  
Parachutiste, maître de judo, agent secret, footballeur, pasteur... le père d'Émile Choulans se dit être tout. Tout ça. Et lorsqu'il faut remplir la feuille d'inscription à la rentrée des classes, c'est toujours le même problème. Dans les histoires de son père, il y a l'OAS et son rêve de rendre l'Algérie aux Français (on est au début des années soixante). Il y a la trahison de De Gaulle. Il y a Ted, le parrain américain d'Emile, celui qu'il n'a jamais vu, agent secret et maître d'orchestre de sa vie.
  
L'enfant de la première partie du livre est fier et admiratif du père, malgré la violence verbale et physique, malgré l'humiliation, la "maison de correction", cette armoire où il doit passer des heures à genoux en guise de punition... Tout cela sous le regard d'une mère passive, sourde et aveugle, complice ignorante, soumise et battue. Envoyé pour des missions folles, épuisé mais docile, Émile gagne le terrain de la vie comme il peut, cerné par l'enclos familial et l'absence d'autre modèle que son quotidien en huis-clos. Et puis vient Émile l'homme, le changement de regard, la compréhension, la compassion mais aussi l'énorme blessure, la plaie ouverte. L'homme qui comprend la folie du père, cette folie contagieuse qui les a bercés tous avec brutalité. Le père est fou, et pourtant, son monde croit à ses histoires. "Tu connais ton père, Émile...". 
  
Ce qui est extraordinaire chez Chalandon, c'est sa capacité à susciter du grand sans jamais en faire trop. Son sens de l'image lui facilite l'économie de mots, d'effets, de surenchère. Tout vient, tout est à sa juste place et touche, touche encore. C'est une délicatesse de la souffrance qu'il nous offre, la rendant plus violente encore.
  

Cette mise à nu du cœur et de lui-même se fait avec une énorme pudeur, un grand respect, étonnant et subtil. Chalandon est stupéfiant dans l'art de nous rappeler la décence dans la tragédie, sa part comique et humble aussi, là, dans notre époque de décadence, de voyeurisme et de vulgarité de l'horreur. Il nous rappelle cette décence qu'il serait si facile d'oublier. 

Chronique par Virginie

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