BD : Derniere bande

Auteur : Barbier

Editeur : Frémok



(Pour "Public Averti", majeur et vacciné)



Alex Barbier ne mentait pas quand il annonçait en nos pages (cf. interview) préparer une synthèse remâchée et dégueulée de sa production, après quoi il n’aurait plus rien à dire.



On sent que l’éditeur, lui aussi, mûrissait une réflexion autour de ce livre qu’il juge important, une façon de le rendre attrayant malgré son propos. Couverture argentée, beau papier, recherche typographique… il a mis le paquet pour en valoriser la teneur artistique.

Dernière Bande est un titre à double sens, évoquant simultanément l’adieu de Barbier à la bande dessinée et une ultime érection. L’auteur tombe non seulement sa pudeur (chose assez banale chez lui), mais surtout les masques pour tirer (oui, tirer, le verbe est bien choisi) sa révérence au monde du 9e Art. Plus de lycaons, de loups-garous, de vampires, ni autres métaphores fantastiques pour aborder ses obsessions. Le lecteur a droit aux aveux crus d’un vieux dépravé, alter-ego de l’auteur-peintre, dont les excès sexuels les plus malsains ne parviennent pas à lui faire oublier un amant de jadis, un adonis répondant au nom de Pablito. Rendez-vous clandestins dans un hôtel particulier, où les esclaves de basses pulsions s'offrent en pâture ; rendez-vous dans un squat souillé par le foutre et la merde ; rendez-vous dans une voiture où un corps ligoté s'apprête à être lacéré ; ou rendez-vous encore dans son propre appartement déserté… Souvenirs et retours sur les lieux de débauche se confondent. Il en va de même pour les voix réminiscentes du passé et le monologue du narrateur... en quête des derniers soubresauts d'un plaisir désespéré. Même les bandes dessinées classiques ne semblent pour lui plus que prétextes à fantasmes salaces, les scouts de La Patrouille des Castors s’y préparant à s’enfiler gaiement. Une autre séquence-pastiche présente Buck Danny gonflé à bloc pour une “mission de choc”.

Comme d’habitude, Dernière Bande n’a rien de bandant (à moins d’être aussi dégénéré que le protagoniste). L’artiste pousse la démarche de sa carrière à son paroxysme, jouant du contraste entre la beauté graphique de ses pages et l’extrême perversité du sujet. C’est plus politiquement incorrect que jamais, du “réalistement trash”, avec l’influence picturale de Francis Bacon qui plane encore un peu. N'hésitant pas à se montrer fréquemment nauséabond, Barbier interpelle directement l'horreur sado-maso possiblement tapie, d'une façon ou d'une autre, dans l'âme humaine. Ca n’en fait pas pour autant son meilleur livre.



Certains espèrent-ils sans doute que sa retraite et la surproduction engloutiront définitivement sa production dans les abysses des bibliographies oubliées ? N'ayant pas pignon sur rue, il est vrai que l’œuvre de cet auteur - Dernière Bande en tête - a pu passer entre les mailles de la censure, au bonheur des défenseurs de la liberté d'expression. Au bonheur surtout de cette part du public qui cautionne un art dérangeant, un art révélateur des instincts les plus inavouables, pour mieux survivre à ses propres ombres. 

Alex Barbier retranscrit d'ailleurs, dans les premières planches, à sa manière codée mais décodable, une réflexion qui lui fût faite : "Vous n’êtes pas si malheureux que ça, Monsieur l’ex ! Ex-auteur de b.d., ex-maire de V., ex-loup-garou, comme vous dites, je vous envie d’être si bien traité. Comme vous êtes chanceux parmi vos compatriotes dont beaucoup ont rejoint (la herre, gross malheur !) le paradis de l’immense Lambert ! C’est que vous nous êtes précieux, et que nous, les glups lamberteux, aimons les artistes…
"

Excessif, explosif, dégueulasse... et assumé. Le livre "du" trop, davantage que le livre "de" trop. Parce que Barbier reste un grand de la bande dessinée alternative. Et que ce bouquin mérite que vous vous fassiez votre propre opinion si vous avez adoré son travail jusqu’ici. Par contre, si vous voulez découvrir sa bibliographie, démarrez plutôt avec Le dieu du 12 ou Autoportrait du Vampire d’en face. Enfin, si vous avez les tripes bien accrochées.




Chronique par Joachim Regout
 
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