BD : Fraise et chocolat : l'intégrale

Auteur : Aurita
Editeur : Les Impressions Nouvelles
 
(Pour public averti)

L’intégrale aurait pu être une bonne nouvelle. Selon moi, elle commet néanmoins une grossière erreur en incluant un épilogue inédit de 36 pages, censé offrir un "bonus".

Si on avait été séduits par ce mélange d’aveu amoureux troublant, d’impudeur espiègle et d’épicurisme dont l’auteur-dessinatrice faisait preuve dans le premier tome de Fraise et Chocolat, si on en avait apprécié le prolongement - facultatif mais toujours touchant - dans le second volume, pourquoi donc ces pages supplémentaires nous ont-elles gâché le plaisir de la relecture ?

Que l'idylle d’Aurélia Aurita avec Frédéric Boilet se soit par la suite achevée, dans la vraie vie, c'est bien dommage. Qu'elle éprouve le besoin de "tourner la page", c'est compréhensible. Mais en faire état dans un épilogue saborde littéralement le côté rafraîchissant des pages antérieures. La raison qui faisait de Fraise et Chocolat un cadeau idéal à offrir à sa/son partenaire de vie (à moins d'être pudibonds), c’était ce côté journal intime d’une histoire d’amour naissante et prometteuse, la découverte de la sexualité sous un jour nouveau, la lecture d’une passion stimulante et communicative.

On retrouve donc ici Aurélia dans son appartement parisien en 2014, deux ans après leur rupture. D’abord nostalgique, elle survole les croquis de l’amant endormi, son pastiche de L’épinard de Yukiko (dont les planches avaient bouleversé Boilet au point d'être l'amorce de leur relation), les pages (vite torchées) de considérations gastronomiques et autres extraits de carnets... avant de poursuivre avec des commentaires à propos de 286 jours, dernier livre en date de son "ex"

Des considérations en plusieurs temps : 
d’abord "molto vivace", emplies de jalousie ("Putain, il a pas mis 6 mois à me remplacer !!! Et par une morveuse de 19 ans !!!"), 
puis d’amertume ("Non, le plus pénible, c’est de voir cette créature évoluer dans un décor qui fut le mien. Et où je suis encore terriblement présente, des carreaux de la véranda que j’ai retapée à mon écriture sur l’étiquette du poivre dont ils saupoudrent leurs repas."), 
avant de s’apaiser avec un "allegro ma non troppo" ("C’est bien qu’il y ait une trace de tout ça. (…) Et surtout, grâce aux photos de Laia, je retrouve le Frédéric que j’ai aimé. Celui dont je voudrais me souvenir."
et d’y trouver, comme dans une composition musicale, une variation sur le même thème. 

Avant d’exprimer le besoin urgent de passer à autre chose, Aurélia Aurita parvient même à vanter les talents narratifs de son amant perdu, doué pour capter la fugacité du sentiment amoureux. C'est leur éditeur commun qui doit être content de cette publicité, car si Fraise et Chocolat est le bestseller de son catalogue, 286 jours peine probablement à trouver un large public. 

Chronique collective de la rédaction Asteline

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Fraise et chocolat