ROMAN : Un été sans les hommes

Auteur : Hustvedt
Editeur : Actes Sud



Mia est une poétesse new-yorkaise d’âge mûr. Mia est surtout une femme délaissée par son mari, Boris, le temps d’une « Pause », cette pause étant une jeune femme toute riche de ses origines françaises et de ses années en moins. Après un passage d’internement psychiatrique pour confusion aiguë suite à cette perte intolérable, Mia part se reconstruire le temps d’un été dans la petite ville de Bonden, au cœur du Minesota. Elle y retrouve sa mère, Laura, vivant dans une maison de retraite et membre active d’un club de lecture avec d’autres dames du même âge. Cet été, elle le passera aussi à donner cours de poésie à de jeunes adolescentes et à faire connaissance avec une voisine, Lola, jeune mère de famille dépassée par ses conflits de couple.

Voilà pour la trame du récit, qui ne sera pas déroulée de façon linéaire. La chronologie étant chose parfois abstraite et les événements pouvant se manifester simultanément, la narratrice choisira les priorités lorsqu’elles se présenteront.

Temps d’un été entre femmes, temps de réflexion, Mia, l’intellectuelle, revient sur sa vie et parsème son histoire d’écarts introspectifs toujours en lien avec ce qui le construit : conception de l’intelligence féminine au fil des âges (construction cérébrale, rôle social,…), plaisir sexuel chez les femelles de toutes espèces, littérature féminine (à comprendre : écrite par des femmes, lues par…qui ?). On pourra qualifier ce roman de féministe, certes. Mais c’est surtout un féminisme bienveillant, visant à mettre le doigt sur les conceptions inconscientes ayant encore parfois la dent dure.

Que ce soit au travers de digressions pertinentes, de correspondances avec un mystérieux M. Personne, d’exercices poétiques proposés à ses adolescentes en construction et en souffrance, de réflexions sur la littérature et la vie avec certaines dames du club de lecture (dont surtout Abigail, la secrète créatrice de broderies subversives), la narratrice amène subtilement ses idées. Elle cite Plutarque, Socrate, évoque Kierkegaard, appelle à des théories scientifiques passées, loue Jane Austen, cette auteure subtile et sensible, à la fois glorifiée et décriée mais souvent snobée par le lectorat masculin ("La vie en province, indigne d’observation ? Les douleurs des femmes, sans importance ? Ca peut aller quand c’est Flaubert, bien entendu. Pitié pour les idiots."). 

"Les femmes lisent des fictions écrites par des hommes et par des femmes. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime avoir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant."

"Le temps est une question de pourcentages et de conviction à la fois. Si à la moitié de votre vie, vous aviez six ou sept ans, l’espace de ces années semblerait plus long que cinquante années pour un centenaire, parce que dans l’expérience des jeunes le futur parait sans fin et qu’ils considèrent normalement les adultes comme appartenant à une autre espèce. Seuls les gens âgés ont accès à la brièveté de la vie." 

Si la femme est au centre de ce récit, le regard porté sur elle n’est pas plus complaisant que sur l’homme : rivalités, faiblesses, cruautés, parts d’ombre sont aussi au menu. Ouvrage construit et déconstruit, où Siri Hustvedt flirte avec les limites de l’essai tout en ne négligeant rien de la part romanesque. Peut-être un peu trop court mais passionnant. 

Chronique par Virginie

A lire aussi : notre avis sur Les yeux bandés par la même auteur.