BD : Station 16

Auteurs : Hermann et Yves H.
Editeur : Le Lombard



On savait déjà que Hermann n’était pas d’une trempe très optimiste, ni d’un avis très conciliant sur l’humanité, mais, cumulés à son talent d’auteur et son humour ironique, ces désillusions totales nous ont valu de grands albums de BD, parmi lesquels quelques Jeremiah et son univers de post-apocalypse, mêlant gravité, action cocasse et trouvailles graphiques.

Accrochez par contre votre moral, futur lecteur de Station 16, car ce one-shot-ci, co-réalisé avec son scénariste de fils, Yves Huppenest probablement son plus "glaçant", à défaut d'être le plus fouillé du maître sur le plan du dessin.

Un groupe de soldats passe le temps en s’imbibant de vodka et en malmenant un "bleu", jusqu'à ce que ce dernier reçoive un message de détresse en provenance d'une base militaire abandonnée... et c'est le début (vraiment ?) d'un cauchemar polaire, sans la moindre trace de dérision. Bizarreries spatio-temporelles et des êtres aux allures de zombies sont au rendez-vous d’un récit qui n’est pas uniquement fantastique, puisqu’il se base sur des faits réels et non moins effrayants.

On y apprend en effet que la Nouvelle-Zemble (Fédération de Russie) essuya plus d’essais nucléaires - en puissance dégagée - que tout autre endroit dans le monde. 135 essais nucléaires soviétiques y furent effectués entre 1955 et 1990, dont 87 dans l’atmosphère. En octobre 1961, la "Tsar Bomba", une bombe quatre mille fois plus puissante que celle d’Hiroshima, explosa dans le ciel de l’archipel. "La Nouvelle-Zemble demeure encore aujourd’hui un territoire interdit, placé sous contrôle militaire. Officiellement, la Russie n’a plus opéré d’essai nucléaire depuis 1990. (…) Aucun des soldats impliqués dans les essais n’a jamais été suivi médicalement : leurs dossiers comportaient tous des chiffres erronés afin de ne rien révéler des dangers de l’exposition à la radioactivité. La plupart de ces soldats étaient sélectionnés dans les orphelinats et contraints au silence pour une durée de 25 ans après leur service militaire. Les archives médicales de ces hommes auraient entre temps disparu dans un incendie." 

A ces informations déjà très plombées, Yves H. mêle des cas d'expérimentations chirurgicales sur cobayes humains, qui, eux aussi ont pu avoir lieu dans des endroits isolés de tout. Quant au contexte de départ pour son scénario, il le tient d’un détail observé sur Google Earth, un hélicoptère parqué en plein milieu d'un paysage désert et au climat hostile, son imagination l'entraînant ensuite dans la morne vie cette patrouille.

Les auteurs réussissent un cocktail détonnant de sordidité et le final entérine leur réputation de ne pas souvent servir de happy ends. Réservé à un public qui a le moral à toute épreuve ou aux inconditionnels de Hermann.