BD : Seuls - T02 : Le maître des couteaux

Auteurs : Gazzotti et Vehlmann
Editeur : Dupuis

(A lire dès 10 ANS)

Un jour, à Fortville, il n’y a plus eu personne. Tous les habitants avaient disparus, à part les pensionnaires du zoo, et cinq enfants dont nous avons fait la connaissance dans le premier tome. Yvan, Leïla, Camille, Terry et Dodji ont dû apprendre rapidement à se débrouiller seuls. Mais sont-ils vraiment seuls ? Un inquiétant personnage masqué rode. Son poncho est décoré d’une collection invraisemblable de couteaux, et il a l’air bien décidé à s’en servir…

Côté dessin, on ne présente plus le style de Bruno Gazzotti, dont on a déjà pu admirer la rondeur, la fluidité, la souplesse et l’efficacité dans dix des douze albums de la série Soda, qu’il a reprise en succédant à Warnant, sur scénario de Tome.

Le scénario est dû au talent de Fabien Vehlmann, nouvelle valeur sûre  aux éditions Dupuis. Pour parler en termes hollywoodiens, le concept de Seuls est une mixture (Jaws + 2001 = Alien) dont il faut rechercher les ingrédients passablement loin. Il y a d’un côté Le monde, la chair et le diable (The world, the flesh and the devil), film américain de 1959 dans lequel Harry Belafonte, Ingrid Stevens et Mel Ferrer, peut-être les seuls survivants de la planète, erraient dans un New York désespérément vide. De l’autre côté, il y a Sa majesté des mouches, célèbre roman de William Golding adapté deux fois au cinéma, dans lequel, suite à un naufrage, un groupe de jeunes garçons organise sa survie sur une île déserte. Si Vehlmann a pu s’inspirer de ces deux œuvres, ce n’est pas pour autant qu’il plagie. Bien au contraire, il ne leur emprunte que les concepts de base pour ensuite se démarquer complètement. 

Les œuvres narratives du style "le dernier homme sur terre" ont souvent valeur de fables, et j’en profite pour vous citer in extenso la plus courte histoire du genre, due au talent inimitable de Frederic Brown : "Le dernier homme sur la terre était assis seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte." Voilà. Revenons à nos moutons : les fables et leurs morales. Sous ses dehors de science-fiction, Le monde, la chair et le diable, réalisé dans les années de lutte pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis, était une fable antiraciste. Dans Seuls, les questions de races et même de cultures ne se posent même pas, quoique trois des enfants soient blancs, une d’origine pakistanaise, et le dernier afro-américain (ou quel que soit l’euphémisme en vogue pour le moment). De son côté, Sa majesté des mouches est une fable noire, qui parle d’enfants mais est destinée aux adultes, le but de William Golding étant de démontrer que la "civilisation" n’est qu’un vernis qui s’écaillera au moindre incident pour laisser place à la barbarie. Sur leur île, les garçons se font la guerre, se donnent un dieu (une tête de sanglier putrescente infestée de mouches – d’où le titre) et finissent par s’entretuer. A l’inverse, Vehlmann s’adresse à tous les publics, et nous laisse garder la foi en une possible humanité dotée d’empathie et de compassion, comme le démontre la fin surprenante de ce second volume (mais on ne va quand même pas vous gâcher le plaisir).

Bref, Seuls parle, de manière intelligente et psychologiquement très réaliste, d’enfants qui réagissent comme des enfants, mais doivent faire face d’un seul coup à des responsabilités d’adultes – et y parviennent plutôt bien, avec les moyens du bord. Le deuxième tome, plus encore que le premier qui servait de mise en place, est passionnant et doté d’un suspense à couper au couteau. Pas étonnant que les kids aiment ça ! Et que leurs parents leur empruntent l’album en douce… 

Chronique par Geoffroy d'Ursel


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tome 2
tome 5