BD : Le Roi des mouches (3 tomes)

Auteur : Mezzo et Pirus
Éditeur : Glénat


Il aura donc fallu attendre quatre ans pour voir, enfin, publier la suite et la fin du Roi des Mouches, série inaugurée avec Hallorave et suivie de L'Origine du MondeUn triptyque tellement bien écrit et complexe que vouloir le résumer ne pourrait que l’affadir et même aisément le faire passer pour une version BD de soap opéra, comme le démontre le paragraphe suivant :

"Dans l’univers microcosmique d’une petite ville de province, à l’atmosphère typiquement américaine, Éric Klein, le "roi des mouches" est un jeune désœuvré qui noie son ennui dans la défonce et le sexe. Il baise avec Sal, la petite copine de son meilleur ami d'Amiens, décédé. Marie sort avec Éric, mais fréquente également Dennis, le dealer, un copain de Sal. Éric en pince pour Karine, qui couche avec Becker, un cinquantenaire, dont  le pote Ringo  est, lui aussi, un  aficionado de bowling. Il y a aussi les adultes avec les histoires d’amour et de cul bancales , David - le Robin des villes - amoureux de Marie, Ramos - l’amateur de blagues un peu pourries -, son frère et enfin Lise - la petite sœur de Marie. Au milieu de tout ce petit monde, un mystérieux sac circule, passe de main en main, disparaît, se cherche, se retrouve…"

Tout ça sent le soufre. En filigrane, la critique d’une société, la nôtre, celle qui semble n’avoir comme valeurs essentielles que l’argent et la jouissance facile qu’il peut apporter. Un ersatz du bonheur dans un panorama où les centres commerciaux s’érigent en cathédrales. Les êtres humains donnent l’impression d'être en parfaite symbiose avec le système dans lequel ils évoluent, mais sont pourtant tous complètement désabusés et enfermés dans leur mal–être. Les jeunes comme les moins jeunes cherchent à fuir une réalité  qu’on leur impose et contre laquelle peu se révoltent. Pour pouvoir faire face à la détresse, la dépression, la peur, l'angoisse, sa propre violence et survivre dans la froide hostilité ambiante, chacun y va du développement de sa propre petite stratégie et de ses propres évasions. 

Quant au lecteur, il est placé en position de voyeur de ces errances désespérées, ce qui nécessitera parfois une certaine prise de distance pour ne pas se laisser atteindre par le cynisme de ces individus fictifs qui, tour à tour, nous livrent leurs pensées inavouables. Derrière leur apparente insensibilité, on découvre ainsi des  monologues à crâne ouvert (bien davantage que de dialogues) de personnages qui s'avèrent étrangement attachants. C'est glacial, glauque et envoûtant à la fois. Le dernier épisode, Sourire suivant, constitue toutefois une plongée si vertigineuse dans la noirceur qu'elle en devient parfois asphyxiante. Les repères se perdent et on ne sait plus bien si l'histoire n'est pas composée que de délires, cauchemars, rêves et hallucinations de ses protagonistes. 

Côté références, on pense irrésistiblement à certaines autres oeuvres, sans que cela n'ôte au Roi des Mouches ni ses mérites, ni son originalité. Il y a un cousinage qui peut être établi avec certaines bandes dessinées made in USA : Black Hole de Charles Burns, en premier lieu, mais aussi Ice Haven de Daniel ClowesLe graphisme de Mezzo évoque indéniablement aussi les "comics" des années 1950. Sur le plan littéraire, c'est spontanément l'écrivain Bret Easton Ellis qui vient à l'esprit. Le scénario est aussi, et peut-être surtout, construit comme celui d'un film et il y a du Lynch et du Tarentino qui hantent ces pages.

Le Roi des Mouches est une série "sexe, drogue et rock n’ roll", déjà culte, qui ne peut laisser indifférent. Pour public averti seulement.

Chronique par Jean Alinea