BD : Ma vie mal dessinée

Auteur : Gipi
Editeur : Futuropolis


Gipi a eu le temps de faire ses armes en Italie avant d’être "découvert" en France avec trois albums quasi-simultanés en 2005 (Notes pour une histoire de guerre, Extérieur nuit et Le local). On peut dire qu’il est entré dans la BD par la grande porte – à moins qu’il ne l’ait tout simplement fait exploser, comme en témoigne l’avalanche de prix des deux côtés des Alpes.

S’il avait déjà tâté de l’autobiographie (Extérieur nuit parle de son père disparu) ; Gipi ne s’était pas encore adonné à cet exercice quasi-incontournable des auteurs actuels, à savoir l’autobiographie pure et simple. C’est chose faite avec Ma vie mal dessinée.

S
on trait particulièrement fin et son style hachuré, jeté, délibérément brouillon ("mal dessiné", dit-il), ont pu le faire comparer à De Crécy. La comparaison s’arrête là : tandis que De Crécy nous promène dans un absurde débonnaire plutôt réjouissant, Gipi nous entraîne dans une amertume intense et pleinement assumée. C’est sans doute ce qui a fait son succès : ces états d’âme, même si nous ne nous y complaisons pas nécessairement, nous les connaissons tous un jour ou l’autre. Gipi nous tend un miroir pas vraiment agréable à regarder, mais toujours vrai.


C
es sentiments inhabituels sont exacerbés dans cette "vie mal dessinée". En matière d’autobiographie, Sfar se raconte avec une certaine complaisance joyeuse, Trondheim se voit en introspectif tourmenté mais marrant… Gipi n’a pas peur de se montrer autodestructeur, irresponsable, déboussolé. Tout ça ne vous donnerait pas envie de lire l’album ? Vous auriez tort. Il y a là du talent dans la noirceur, et parfois plus. "Tout ça n’a pas de sens, semble-t-il dire, et pourtant c’est quand même mieux que rien." Même si Gipi n’a aucune prétention littéraire, c’est à l’existentialisme d’un Sartre qu’il faudrait le rattacher. Et il n’y a, à ma connaissance, aucune œuvre BD qui fasse autant penser au Cri de Münch.


S
artre et Münch donc, mais qui posséderaient un ingrédient supplémentaire non négligeable : l’humour d’un Kafka, cette politesse du désespoir.


Chronique par Geoffroy d'Ursel

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