Entretien avec Daniel Charneux

Avec Norma, roman (Prix Charles Plisnier 2007, cf. notre chronique ici), Daniel Charneux narrait la vie cachée d'une Marilyn n'ayant pas trouvé la mort le 5 Août 1962.


Nuage et Eau nous raconte la vie de Ryôkan, moine bouddhiste japonais du XVIIIe sècle, qui consacra sa vie à la méditation zen et au haïku (ndlr. : poème court d'origine japonaise composé de 3 vers et de 17 syllabes). Au travers du parcours de cet ermite altruiste, l’auteur dresse un portrait à la fois éthéré et touchant d’un homme qui trouvait le beau là où se posait son regard.

Cheminant dans une vie de souffrance à laquelle, selon la philosophie bouddhiste, seul le zazen peut offrir un "soulagement", Ryôkan fit aussi la rencontre de l’"âme-itié" en reconnaissant en Teishin, jeune moniale et poète, une complice spirituelle des derniers moments de sa vie. Pudeur et sensibilité, lumière et clarté, un roman qui coule en courts chapitres sans jamais trébucher sur les mots.



Tu as découvert Ryôkan par cette forme de poésie qui vous lie: le haïku. Est-ce que pratiquer l'écriture du haïku entre dans le quotidien comme une nouvelle façon de voir ce quotidien ?
O
ui, sans doute. A tel point que certains en nourrissent leur blog, comme mon ami Marcel Peltier, qui propose chaque jour de nouveaux haïkus ou senryus "minimalistes".
Le haïku, c'est le quotidien qui nous tape sur l'épaule et dit : "Regarde-moi."

On peut lire dans le roman, alors que Ryôkan
fait ses premiers pas en tant que moine zen: "(...) le combat contre la souffrance est le seul qui valût d'être mené". Faut-il être en accord avec cette idée pour pratiquer la méditation zen ?
Oui, car la souffrance est la "première noble vérité" du bouddhisme.
La première vérité découverte par le Bouddha : "La vie est souffrance." Avec pour corollaire : "Il est possible de lutter contre cette souffrance." Pourrait-on pratiquer la méditation zen sans adhérer à cela ? Non, car le zen est une branche de l'arbre du bouddhisme. On ne peut pas plus pratiquer le zen sans s'inscrire dans le bouddhisme que pratiquer sincèrement la prière sans s'insérer dans la foi (chrétienne, en tout cas déiste). Lorsque Ryôkan se met à la calligraphie, à l'écriture de haïkus, il médite, fait le vide en lui et devient en quelque sorte le "bras de la création".


Penses-tu que la créativité, ou l'art quelle que soit sa forme, résulte d'une transmission de quelque chose de plus spirituel ? L'artiste est-il "vecteur" ?
Quelque chose passe à travers nous. Quelque chose de l'ordre du souffle, de l'expiration plus que de l'inspiration, est à l'œuvre chez l'artiste, au moment de la création. Mais je ne suis pas spiritualiste, plutôt moniste (je crois en la fusion du spirituel et du matériel, ou du charnel).

Il m'a semblé que dans chacun de tes romans*, le personnage principal rencontrait à un moment de sa vie, volontairement ou non, la solitude. Se cherchait peut-être une nouvelle identité ? Passage par la solitude pour mieux s'offrir ensuite à la rencontre, comme Ryôkan et Teishin ? A un nouveau soi ?
C'est en effet un thème récurrent. Solitude, désert, vide. "Désert de l'amour", aurait dit Mauriac. S'amorce ici (déjà dans Norma, voire dans Recyclages) l'idée qu'il faut se vider de tout, se débarrasser de tous les oripeaux pour pouvoir vraiment devenir soi-même, se rencontrer, et pouvoir dès lors rencontrer l'Autre. Ce "nouveau soi" me rappelle le personnage "palimpseste" de Michel, dans L'Immoraliste de Gide.

Ton style m'a paru sensiblement différent dans ce quatrième roman. Evolution de l'auteur ? Harmonie inévitable avec l'univers de l'homme qu'était Ryôkan ?
Evolution, peut-être. Mais surtout en rapport avec le sujet, avec l'esprit dépouillé du zen. Il me semble, après quatre livres, que je suis de ces auteurs qui adaptent chaque fois l'écriture au sujet, plutôt que de ceux dont l'écriture est identifiable une fois pour toutes. Je devais raconter l'histoire de Ryôkan avec le plus grand classicisme, dans un style fluide mais parfois poétique, où la simplicité laissait parfois percer une émotion. Je suis très heureux que l'adjectif "limpide" ait été plusieurs fois employé à propos de cette écriture.


Propos recueillis par Virginie Holaind


* Une semaine de vacance (chez Luc Pire - 2001) ; Recyclages (Luc Pire - 2002) ; Norma, roman (Luce Wilquin - 2006)


Lisez aussi nos chroniques à propos de Maman Jeanne (Luce Wilquin - 2009) et Comme un roman-fleuve (Luce Wilquin - 2012).