BD : River’s edge

Auteur : Okazaki
Editeur : Casterman (Sakka)




Auteur phare du manga "post-moderne" (il paraît que c’est comme ça qu’on dit "actuel" en langage artiste-branché), Kyôko Okazaki nous a déjà ravis avec ses visions douces-amères et drolatiques de personnages contemporains dans Pink et Helter Skelter.

Publié au Japon entre les deux œuvres précitées, River’s edge s'en distingue par son absence totale d’humour. Il s’agit d’une chronique de l’adolescence à travers l’interaction d’une poignée de garçons et filles d’un même collège standard, quelque part au Japon, dans une ville dont tout ce qu’on sait est qu’elle est traversée par un fleuve. Chacun des personnages pourrait n’être qu’un archétype (le mâle dominant aussi violent que con, l’homo bouc émissaire, la starlette anorexique, la trop gentille, la fille facile un rien salope…). 

Ce serait compter sans le talent immense de Kyôko Okazaki à faire vivre ses personnages, ados naviguant à vue dans un monde dont ils ne connaissent pas les codes. Malmenés par des afflux tout neufs d’hormones. Fascinés ou dégoûtés par le sexe. Fascinés par la mort. Tout tournera d’ailleurs autour du cadavre décomposé d’un inconnu trouvé dans un terrain vague, et que l’un d’entre eux considère comme "son trésor". En tous cas, le personnage d’Haruna (alter ego de Kyôko Okazaki ?), qui sert de fil rouge et de lien entre tous les autres protagonistes, échappe à tous les clichés. Elle est le personnage le moins "connoté", et le plus intéressant ; et pourtant, juste une ado un peu perdue qui navigue à vue.


Kyôko Okazaki a, dit-on, révolutionné le manga en y parlant crûment de sexe. C’est faux : ce qu’il y a de nouveau, c’est qu’elle en parle sans tabous, mais sans ostentation, sur le ton le plus naturel du monde, au même titre que d’autres menus problèmes, comme l’acné, les examens et les ragots. Ne s’étant pas soumise au rythme marathonien du manga à épisode, Kyôko Okazaki a préféré l’unité plus dense du roman graphique. Et on parcourt ces 234 pages avec le même sentiment de fascination hypnotique que celle procurée par un film de David Lynch – même si la comparaison cinématographique la plus exacte serait à chercher dans les films de Larry Clark (Kids, Ken Park).

En bref : "J’ai eu vingt ans, aurait dit Victor Hugo, et je défends à
quiconque de prétendre que c’est le plus bel âge de la vie". Ca marche aussi avec "quinze ans".
Chronique par Geoffroy d’Ursel